“Si vous croyez savoir, vous ne savez pas.”” (Lao tseu)
La lettre d'info trimestrielle pour en savoir plus sur la sociologie de proximité et l'interculturalité concrète. Épisode 2
Le concept à dépoussiérer : La culture
Un mot qu’on utilise tout le temps… mais est-il si simple à définir ?
On le retrouve partout : culturisme, agriculture, ou encore dans l’expression « c’est une personne très cultivée ». Mais penchons-nous plutôt sur son sens anthropologique. Là, les questions s’ouvrent :
👉 Comment un individu apprend-il une culture ?
👉 Peut-on désapprendre une culture ?
👉 Est-il possible d’en accumuler plusieurs ?
👉 L’humain peut-il se passer de culture et retourner à un hypothétique « état de nature » ?
Ces interrogations révèlent une évidence : nous n’avons pas qu’une seule culture.
La culture est dynamique, poreuse, toujours en mouvement.
Elle désigne ce qui est particulier à un groupe — ni universel (ce qui vaudrait pour tous les humains), ni individuel (ce qui relèverait de la personnalité). Bien sûr, ces trois dimensions ne sont pas hermétiques : elles se croisent, s'influencent, se chevauchent.
Selon l’anthropologue Edward Tylor, la culture est :
« un tout complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes, et toutes les autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société ».
En croisant ce postulat avec les apports de la sociologie, on peut faire le lien avec deux autres concepts : l’habitus et la socialisation. Nous sommes traversé·es par une multitude d’appartenances — choisies, subies ou héritées — issues de microcosmes culturels qui nous inculquent des codes, des prédispositions à agir, à penser, ou encore à percevoir le monde (et les autres).
Ainsi, les cultures ne se limitent pas aux nations. Par exemple il existe les cultures régionales, générationnelles, de genre, territoriale (citadine, rurale, périurbaine…) de classe sociale, etc.
Autant de filtres qui cohabitent, parfois s'entrechoquent, toujours nous façonnent.
Actus et projets ARC
Ces derniers mois, chez ARC, ont n’est beaucoup resté en Bretagne mais pas seulement !
🟣 À Lanvallay et Pacé en Ile-et-Vilaine pour des conférences autour des enjeux de la mobilité des jeunes dans une perspective sociologique. Le premier évènement était dans le cadre de “Erasmus+ en campagne” et le deuxième dans le cadre du lancement du COMEMOB (collectif métropolitain pour la mobilité internationale des jeunes) dont ARC est une des structure composante.
🟣 À Lyon, pour deux jours de formation auprès d’un Service d’Hébergement Éducatif pour Majeurs Accompagnés pour transmettre des outils concrets d’une approche interculturelle dans le travail social.
🟣 À Erdeven dans le Morbihan, pour penser plusieurs projets auprès de l’office de tourisme de la commune pour penser des ateliers autour de la mobilité, du vivre ensemble et de l’identité à destination des habitants et habitantes du bourg.
🟣 À Saint-Savin en Gironde, pour trois journées de formation d’un cycle de quatre pour sensibiliser des pros du social et médico-social à l’interculturalité.
🟣 Toujours à Lille mais aussi à Saint-Omer, pour des cours de sociologie et d’interculturalité pour des étudiantes et étudiants en travail social à l’Ecole Européenne Supérieure du Travail Social (EESTS).
Les chiffres à retenir
Interculturalité et sociologie : les boussoles de l’action
Corruption ou lien social ?
En France, la corruption est perçue comme une entorse grave aux règles communes. Mais ailleurs, ce qui est vu ici comme un abus peut relever d’un autre mode de relation sociale : celui de l’échange personnalisé, du lien durable, de la loyauté envers ses proches ou de la confiance en une parole donnée.
Au Vietnam, on parle de lien de dette ; en Chine, du guanxi. Ces systèmes valorisent les faveurs réciproques, les engagements interpersonnels. Favoriser une personne, ce n’est pas tricher, c’est honorer ou créer un lien.
Ce type de logique n’est pas nouveau. Marcel Mauss, dans L’Essai sur le don, montrait déjà que dans de nombreuses sociétés, les dons et contre-dons structurent les relations bien plus que des règles abstraites. On donne, on reçoit, on rend. Pas parce qu’une loi l’exige, mais parce qu’un sentiment d’obligation morale, diffus mais puissant, s’impose.
Le sociologue Fons Trompenaars propose une lecture intéressante :
Dans les cultures universalistes, la norme s’applique à tous de manière égale.
Dans les cultures particularistes, ce sont les relations concrètes qui dictent l’action : aider un proche peut primer sur le respect de la règle générale.
Dans certaines régions du monde, ces logiques façonnent profondément le quotidien. La corruption ne se limite pas à des élites : elle fait partie de la vie courante, parfois considérée comme une manière légitime de faire fonctionner un système. Ces réseaux informels peuvent devenir des formes d’économie parallèle, essentielles pour accéder à des services de base.
Cela ne veut pas dire que tout est permis, mais que les repères ne sont pas les mêmes.
Lors d’une de mes interventions dans un service éducatif à Lyon, des travailleuses et travailleurs du social racontaient que certains jeunes exilés, étaient habitués “à débloquer” certains actes administratifs par des paiements informels, pensant qu’il fallait faire de même en France. Pour une carte grise, un logement, une démarche, etc. Il fallait donc prendre le temps de comprendre leurs repères et de leurs en transmettre des nouveaux.
👉 Comprendre ces logiques pour mieux accompagner
De ce fait expliquer pourquoi ici, certains services sont gratuits (sous conditions), et de désamorcer les malentendus, sans disqualifier les pratiques d’ailleurs.
Briser les évidences, tisser du sens
Santé, mort et croyance
Dans la santé, le social ou le médico-social, les pros sont parfois amenés à s’occuper de personnes qui n’ont pas les mêmes cadres de référence. Cela peut amener à des frustrations, des malentendus et des tensions fortes, du côté des personnes soignantes comme des personnes soignées.
En vrac, voici des situations que l’on m’a déjà exposées en formation :
🔹 Un jeune atteint de schizophrénie pensait devoir laver son médicament avant ingestion, parce que celui-ci était bleu. Et le bleu, ça ne se mange pas.
🔹 Une femme refusait une transfusion de sang, car elle avait peur que le sang contienne des fantômes qui viendraient la hanter.
🔹 Un groupe de personnes ne voulait pas quitter l’hôpital sans le corps d’une vieille femme décédée de leur clan.
🔹 Un homme souhaitait consulter l’avis de sa voyante en plus de celui du médecin.
Ces situations, parfois déconcertantes, prennent sens dès lors qu’on change de focale. Dans de nombreuses cultures, la maladie ne se pense pas uniquement en termes biologiques. Elle peut être liée à un déséquilibre social, moral ou spirituel. Le soin, dans ce cas, n’est pas qu’un acte technique : il engage des visions du monde, des rapports à l’invisible, à l’âme, à la filiation ou à l’au-delà.
Comme l’ont montré les anthropologues de la santé, les interprétations de la maladie ou de la douleur sont toujours situées culturellement. Ce qui est perçu ici comme irrationnel peut ailleurs être vu comme essentiel à l’équilibre de la personne. Ainsi, comprendre les croyances ou les rites, ce n’est pas y adhérer, c’est créer un espace de reconnaissance.
👉 Soigner, ce n’est pas seulement appliquer un protocole. C’est aussi rencontrer l’autre, dans sa manière d’habiter le monde.
Car plus les personnes se sentent comprises, plus elles peuvent s’approprier le parcours de soin proposé.
ARC propose une nouvelle formation à l'interculturalité autour de ces questions !
👉 https://xn--arc-interculturalit-tzb.com/interculturalite-sante-mort/
Ref’ à approfondir
“Les identités meurtrières ” - Amin Maalouf
Dans Les Identités meurtrières, Amin Maalouf démonte l’illusion d’une identité figée et monolithique. Lui-même est franco-libanais. Il plaide pour une vision stratifiée de soi, tissée d’appartenances multiples, parfois dissonantes. L’identité n’est pas un bastion, mais une entité mouvante, réécrit au gré des contextes. Ce sont les projections d’assignations exclusives qui engendrent les crispations et qui tendent à focaliser les individus sur leurs différences. Repenser l'identité dans sa complexité, c'est désamorcer les passions tranchantes.
'“Retour à Reims”- Didier Eribon
Dans Retour à Reims, Didier Eribon explore ce que ça fait d’appartenir à un monde — et d’en sortir. Il raconte son retour dans le milieu ouvrier qu’il a quitté. Il y découvre que les gens n’ont pas tant changé — ce sont les cadres dans lesquels on pense et nomme les identités qui ont basculé. Autrefois, on se définissait comme ouvrier, communiste, syndiqué ; aujourd’hui, d’autres appartenances prennent le relais. Ce n’est pas que les individus deviennent autres, mais que les récits collectifs autour d’eux se déplacent. Eribon met en lumière la façon dont nos identités ne sont jamais fixes, mais toujours prises dans des histoires plus larges. Il parle de décalages, de malaises, d’invisibilités. De cette sensation d’avoir changé de langue sans en perdre l’accent.
Jeunes et mal-être, la sociologie peut-elle apporter des réponses ?
Emile Durkheim, fondateur de la sociologie a écrit le Suicide en 1897. Il y décris comment un acte apparemment individuel peut s’expliquer par des causes sociales.
Si une personne est trop isolée, elle peut perdre le sens de la vie : c’est le suicide égoïste. Si, au contraire, elle est trop liée à un groupe au point de s’effacer pour lui, c’est le suicide altruiste. Quand les règles sociales sont floues ou changent trop vite (comme après une crise économique), cela crée de l’instabilité : c’est le suicide anomique. Enfin, quand une personne vit sous un contrôle trop rigide, sans espoir d’échapper à sa condition, elle peut sombrer dans le suicide fataliste.
On peut faire des liens entre le travail de Durkheim et le mal-être des jeunes actuels.
Aujourd’hui, le mal-être des jeunes s’exprime notamment par des troubles anxieux, dépressifs ou des idées suicidaires, dont la prévalence a fortement augmenté ces dernières années, surtout depuis la pandémie de Covid-19. Les enquêtes récentes montrent qu’un quart des jeunes de 11 à 24 ans a déjà eu des idées suicidaires (Ifop, 2025), et près de la moitié a vécu un épisode dépressif au cours de l’année écoulée (Ifop, 2025). Ce constat rejoint l’analyse de Durkheim : les jeunes se sentent de plus en plus isolés, à l’école comme dans la société, et le soutien collectif tend à disparaître.
Durkheim a montré que le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu : plus l’intégration sociale est faible, plus le risque de suicide augmente. Il a identifié que la famille, la religion, les groupes politiques, les groupes d’intérêts, les communautés en général sont des entités qui structurent l’identité des individus et leur donnent des repères.
Pour Durkheim, tous les groupes n’ont pas la même valeur ni le même effet sur le collectif. Sa réflexion sur le lien social et l’intégration montre que certains groupes jouent un rôle central dans la cohésion sociale, tandis que d’autres y contribuent différemment selon leur nature et leur fonction.
Dans tous les cas la sociologie montre que l’individu va chercher à intégrer différents groupes et se sentir “appartenir à”
L’énigme du trimestre
Réponse de la dernière énigme : Non, un pouce levé 👍 n’est pas universel. En Iran, Irak ou Afghanistan ce geste est l’équivalent du doigt d’honneur.
Si vous avez été participantes ou participants d’une de nos interventions n’hésitez pas nous laisser un commentaire, c’est toujours d’une grande aide (il suffit des scanner le QR code) !