"Le savoir triste est un savoir mort" (Voltaire)
La lettre d'info trimestrielle pour en savoir plus sur la sociologie de proximité et l'interculturalité concrète. Épisode 1
Le concept à dépoussiérer de sa bibli’ : La socialisation
Travail social, médico-social, enseignement… Peu importe votre secteur, vous êtes confronté·e chaque jour à des comportements qui vous interrogent :
🔹 Pourquoi ce jeune refuse catégoriquement une expérience de mobilité internationale ?
🔹 Pourquoi cette personne en insertion semble-t-elle bloquée face à l’écrit ?
🔹 Pourquoi certains publics adhèrent-ils immédiatement à vos propositions, alors que d’autres restent méfiants ?
Ce n’est pas (juste) une question de motivation ou de volonté. C’est une question de socialisation.
“La socialisation” est le processus par lequel les individus apprennent et intériorisent les normes, valeurs et comportements propres à leur groupe ou société, ce qui leur permet de s'y intégrer. Elle se déroule tout au long de la vie, influencée par des agents comme la famille, l’école, les clubs de sport, les associations, les communautés religieuses, les pairs ou encore les médias .
C’est l’ensemble des apprentissages qui nous façonnent : notre rapport au savoir, au travail, aux autres, aux règles… Tout ça, on ne l’a pas choisi, on l’a intégré en grandissant.
Et c’est aussi ce qui explique les incompréhensions entre professionnel.les et publics : quand deux mondes sociaux se rencontrent, ils ne partagent pas toujours les mêmes évidences.
Actus et projets ARC
Ces derniers mois, chez ARC, on a eu fort à faire. Voyage aux quatre coins de la France.
🟣 À Lille, pour des cours de sociologie et d’interculturalité pour des étudiantes et étudiantes en travail social à l’Ecole Européenne Supérieur du Travail Social (EESTS).
🟣 À Pau, pour une conférence et des ateliers autour du vivre ensemble par l’interculturalité pour les pros du service “Vie de Quartier” de l’agglomération et de sa métropole.
🟣 À Paris, pour une formation afin de vulgariser le concept “d’habitus” afin d’aider le Planning Familial à accueillir un public varié, représentatif de l’ensemble de la société (on en parle en dessous)
🟣 À Saint-Savin en nord Gironde, pour la première formation d’un cycle de quatre pour sensibiliser des professionnel.le du social et médico-social à l’interculturalité.
🟣 À Dinan, pour proposer un appui sociologique pour montrer la cohérence des actions de terrain mise en place par l’association Steredenn dans son accompagnement des jeunes en grande précarité. L’intervention a eu lieu lors d’un co-pil avec ses partenaires.
Le chiffre à retenir
Face à ce chiffre citons en une autre donnée de la même enquête : Les personnes immigrées et les personnes descendantes d’individu immigré ont un sentiment d’appartenance français très proche de la moyenne de la population majoritaire. L’étude révèle que le fait de se sentir français n’est pas contradictoire avec des sentiments d’attachement à d’autres nationalités. Ces différentes appartenances seraient même complémentaires.
Qu’est-ce qui explique ce décalage selon vous ?
Interculturalité et sociologie : les boussoles de l’action
En décembre ARC est intervenu auprès du Planning Familial afin d’aborder le problème suivant : “ pourquoi certaines personnes ne franchissent pas la porte du Planning Familial pour utiliser les dispositifs, venir s’informer, prendre du matériel ou consulter ?”.
La sociologie apporte des réponses à ces interrogations et elle permet de comprendre des mécanismes sociaux pour se donner tous les moyens de construire des mixités qui fonctionnent (de classe, de genre, de génération …)
Pierre Bourdieu a développé le concept d’habitus. C’est un ensemble de dispositions durables, acquises par nos expériences et notre éducation, qui influencent nos comportements, nos goûts et notre manière de percevoir le monde. Pour le dire autrement, c'est comme un filtre inconscient qui guide nos choix et nos actions en fonction de notre histoire sociale.
En partant de la théorie nous avons donc fait plusieurs exercices pour voir si les personnes présentes avaient un habitus commun et si plus généralement il existait un “habitus planning familial”.
L’habitus fait partie de ces forces invisibles du social qui font passer nos certitudes comme neutres ou universelles. Pour traduire l’autre, il faut se comprendre soi. Autant le dire, cela facilite grandement l’accueil ou accompagnement d’un public spécifique pour tenter de saisir et répondre à ses besoins.
Briser les évidences, tisser du sens
En matière de fausse évidence, la salle d’attente est un cas d’école interculturel !
Plusieurs fois cette année, je suis intervenue auprès de structures qui ont une salle d’attente et qui expliquent être heurtées par certains groupes culturels qui ne respectent pas le silence qui est de rigueur dans ce genre de lieu. Effectivement certaines personnes : passaient des appels téléphoniques, mangeaient, voire même regardaient un match de foot avec le son allumé !
Vue par leurs lunettes culturelles des professionnel.le de ces structures, cette situation leur paraissait être un manque de respect.
Souvent, je leur explique la même anecdote, histoire de se décentrer de leurs références et mieux comprendre d’autres univers de sens.
J’ai habité au Laos pendant plusieurs mois, régulièrement je devais passer par l’administration du pays pour renouveler mon visa de séjour. Première chose, pas de rendez-vous, il faut arriver le matin, s’inscrire à l’accueil et attendre qu’on nous appelle. Cela peut durer plusieurs heures, voire toute la journée.
Est-ce un système moins efficace pour autant ? Et bien non.
La salle d’attente est énorme. Il y a foule. En Occident, on a une idée bien précise de l’attente. On considère que c’est une contrainte, une perte de temps, dans laquelle on s’ennuie. Trop attendre est inadmissible .
Au Laos et comme dans de nombreuses autres cultures polychroniques, on fait plusieurs tâches à la fois. Du coup, on n’attend jamais sans rien faire. La salle d’attente devient un véritable lieu d’activité et de sociabilisation, vivant et collectif. On fait connaissance, on s’informe de ce qui se passe dans le quartier, on mange et on boit sans complexe (on est sans doute là pour la journée ça serait stupide de ne pas le faire), on regarde du sport ensemble sur un portable, on fait un visio’ pour le travail, les enfants courent partout, on se raconte des blagues 😎
Nous n’avons pas tous et toutes la même définition de la salle d’attente.
ref’ à approfondir
“Y-a embrouille” - Marwan Mohamed
Ce livre de 2023, analyse les mécanismes sociaux et culturels qui animent les conflits entre jeunes des quartiers populaires, en explorant leurs dynamiques de rivalités, leurs codes d'honneur et la manière dont ces affrontements reflètent des logiques de reconnaissance et d'identité.
“Mineurs non accompagnés - repères pour une clinique psychosociale transculturelle” - Sous la direction de Sydney Gaultier, Abdessalem Yahyaoui et Pierre Benghozi, 2023
Les mineurs non accompagnés se meuvent dans un entre-deux, pris entre l’exil et l’assignation institutionnelle. Cet ouvrage interroge les effets de la migration sur leur socialisation, leur subjectivation et leur rapport aux normes. Il met en lumière les tensions entre trajectoires singulières et cadres administratifs rigides, entre résilience et mise en discipline. À travers une approche psychosociale et transculturelle, il explore les stratégies d’adaptation de ces jeunes et les marges de manœuvre des pros. Une réflexion sur les dispositifs d’accueil, les catégorisations et les effets de pouvoir, pour penser autrement l’accompagnement.
BD “Esprit Critique” par Isabelle Bauthian, 2021
L’esprit critique n’est pas un don, mais un outillage. Cette BD décortique nos biais cognitifs, nos illusions logiques et nos certitudes trop bien ancrées. À travers une narration fluide et des cas concrets, elle expose comment les croyances se fabriquent, comment la manipulation opère et pourquoi la rationalité vacille. Entre sciences cognitives, sociologie des médias et épistémologie, elle offre des armes pour déjouer l’intox, affûter son raisonnement et affronter le réel sans œillères. Un manuel accessible et acéré qui permet de redonner son importance à la méthode scientifique.
L’énigme du trimestre
Est-ce que ce signe est universel ? Réponse au prochain épisode…
ARC est une structure d’intervention (ateliers, conférences, enquêtes, formations) autour de questions d’interculturalité et de sociologie. Nous intervenons spécifiquement auprès des bénévoles et des professionnel•les, dans les domaines de l’éducation et de la formation ainsi que dans les secteurs du social, du culturel, de la santé, et des structures publiques.